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Eviter les décisions absurdes par le droit à l'erreur

Christian Morel, ancien DRH de la division véhicule utilitaires chez Renault devenu sociologue en fiabilité des organisations, traque et analyse les erreurs collectives et les moyens de les éviter. Rencontre.
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Article issu de Personnel, la revue de l'ANDRH (numéro 595, mai 2019)

Pour éviter les décisions absurdes vous avez identifié les métarègles de la fiabilité. De quoi s’agit-il ? 

Christian Morel : Ce sont des règles, qui sont des fondamentaux du comportement humain pour assurer la sécurité, la qualité et la performance. Pour les identifier, j’ai analysé des activités où les risques de perte en vie humaine sont très élevés et impliquent donc de ne pas se contenter de gadget en management et d’approximation sur la question du facteur humain

Paradoxalement, les organisations les plus dangereuses sont souvent les plus fiables, pour cette raison. J’ai donc mené une étude approfondie de ce que l’on appelle les OHF, Organisations Hautement Fiables, comme les porte-avions américains par exemple pour identifier ce qui les rend hautement fiables - ces fameuses « métarègles -. La bonne nouvelle c’est que ces métarègles sont transposables dans toutes les organisations. 

« Les organisations de haute fiabilité reposent sur le facteur humain »

Dans quels domaines avez-vous identifié des pièges et des métarègles pour les éviter ? 

CM : J’ai montré que la vie professionnelle de tous les jours, dans toutes les organisations, est composée d’interactions (comme les réunions) qui peuvent avoir des effets pervers, produire des pièges absurdes si on n’y prend garde. 

Il est pourtant assez simple de les énumérer :

  • L’effet de majorité : contrairement au scénario de Douze hommes en colère, la minorité parvient rarement à convaincre la  majorité de son erreur. 
  • Le groupe trop amical est également un piège, car l’amitié peut conduite à éviter les sujets qui fâchent. Des exemples célèbres d’erreurs collectives ont montré qu’il fallait se méfier d’une ambiance où l’on ne voudrait pas créer de tension en soulevant un point de désaccord pourtant essentiel. 
  • Les erreurs de communication tacite peuvent également produire des résultats dramatiques. Lors d’une coordination, quand tout n’est pas suffisamment explicité, on constate que la coordination silencieuse entraîne de nombreux malentendus. Statistiquement par exemple c’est la première cause de collisions de navires sur des routes de non-collision.  
  • L’illusion de l’unanimité peut également être ravageuse. Tout le monde semble d’accord parce que personne n’exprime son désaccord. Ce consensus apparent ne permet pas de mobiliser l’intelligence et la vigilance collective. 
  • L’excès d’autorité hiérarchique est également un facteur important de dysfonctionnement des organisations. La compagnie aérienne Korean Air a par exemple subi deux crashs mortels parce que  le copilote n’avait pas osé dire à son chef qu’il se trompait ! 
  • Les principes de bon fonctionnement contre-productifs sont tout aussi désastreux. Il consiste pour les non-spécialistes lors d’une réunion à ne pas insister pour comprendre, ou à ne pas s’autoriser à porter la contradiction. Les spécialistes n’osant pas davantage soulever le problème hors de leur compétence stricte de peur d’être pris en flagrant délit d’amateurisme, un problème grave peut être passé sous silence alors que plusieurs participants l’ont identifié.  
  • Il faut se méfier des « problème des Tours de Babel ». Un certain nombre de dysfonctionnements dans les interactions sont des problèmes de langage commun. Il peut s’agir du choix de la langue (par exemple imposer l’anglais à des équipes techniques qui la maîtrisent mal), ou de système culturel n’attribuant pas le même sens aux termes -mêmes techniques- utilisés. 

"Il est possible d’organiser l’examen d’une contre-décision, ou de mettre en place un binôme contradictoire."

On reconnait assez facilement notre quotidien dans cette énumération n’est-ce pas ? Mais ce ne sont pas des problèmes anodins car ces effets pervers sont la cause de nombreux dysfonctionnements. La moitié des accidents de chirurgie par exemple sont imputables à ces problèmes d’interactions ! 

Quelles sont les métarègles qui permettent d’éviter ces effets pervers ? 

Pour éviter ces effets et les décisions absurdes qu’elles entraînent, il est possible de mettre en place des métarègles qui ont fait leurs preuves. 

  • Favoriser la collégialité

Dans les organisations de haute fiabilité, une grande liberté de prise de parole, de décision et d’action est laissée aux subordonnés et aux experts de terrain. Cela implique des pratiques claires pour éviter les effets d’autorité. On prend souvent en exemple la baisse du gradient d'autorité, c'est-à-dire le niveau d’autorité du commandant de bord vis-à-vis du copilote, qui a pu causer des difficultés d’appréciation des situations de vol. 

Les OHF peuvent par exemple avoir pour principe l’application obligatoire d’un ordre donné par son subordonné. De même que les galons sont enlevés dans les sous-marins, symbole pour que chacun s’exprime et contribue au meilleur fonctionnement de l’équipage. 

  • Organiser le débat contradictoire 

Pour éviter les effets de majorité, du groupe trop amical par exemple, il est possible de mettre en place une procédure très claire d’avocat du diable. C’est une technique célèbre qui a été utilisée par le gouvernement américain. Après l’erreur historique de la Maison Blanche lors de l’invasion de la baie des cochons à Cuba car le groupe était trop amical autour de JFK, le président avait confié à son frère Robert le rôle d’avocat du diable pour la gestion de la crise des missiles de Cuba en 1962.  

Il est aussi possible d’organiser l’examen d’une contre-décision, ou de mettre en place un binôme contradictoire. On a ainsi pu constater en médecine, que le transfert d’un patient entre deux médecins entraînait une réduction des erreurs médicales car il introduisait un diagnostic contradictoire ! Mais il ne faut pas perdre de vue qu’introduire du contradictoire dans un groupe est gage de fiabilité des décisions collectives mais n’est pas simple à mettre en place, et peut même s’avérer éprouvant

  • Contrôler les consensus 

Nous l’avons vu, le consensus apparent peut être un piège. Il est donc important de s’assurer qu’il s’agit d’un véritable consensus. C’est d’ailleurs un point de vigilance que le droit Talmudique a pris en compte. Le consensus étant suspect, le tribunal suprême, le Sanhédrin, prévoyait l’acquittement d’un condamné à mort en cas d’unanimité des 23 juges.   

  • Favoriser l’interaction permanente et généralisée

Dans les Organisations Hautement Fiables, tout le monde parle à tout le monde en permanence et dans tous les sens. On institutionnalise les briefings et les débriefings systématiques, et on favorise les échanges informels. On néglige souvent la convivialité alors qu’elle joue un rôle fondamental dans la fiabilité des organisations, notamment dans la qualité des échanges hors hiérarchie. 

De façon générale il faut redonner toute sa place à la verbalisation car c’est le déficit que l’on constate le plus souvent dans les équipes. 

  • Contrôler les interstices 

Les lieux où des fractions d’organisation sont en contact sont des zones de grandes fragilités dans les organisations. Les erreurs les plus graves sont souvent commises dans ces interstices où les cultures organisationnelles se confrontent. On constate par exemple un problème de communication à la réception de pièces produites dans différentes usines… 

Pour fiabiliser ces interstices il faut travailler sur des processus d’intégration en formalisant des principes d’action communs. 

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