Raymond Vatier, un gamin des trente glorieuses

Raymond Vatier, né en 1921 est décédé le 28 septembre 2018. Il avait publié en 2015 « L’Aventure d’un gamin des trente
glorieuses » retraçant sa passionnante vie d’homme pleinement et
durablement engagé. A travers sa vie professionnelle consacrée
à la gestion des Ressources Humaines, à la formation et à l’audit social, accompagnée
d'activités sociales actives et de nombreux mandats municipaux et intercommunaux,
Raymond Vatier n’a jamais cessé d’apporter une
contribution remarquable au service des hommes.
29
années dans l'univers Renault au service de la formation
Reçu au concours d’entrée
aux Arts et Métiers, le jeune Raymond intègre à Lille en 1938 et sera imprégné
par l’esprit gadz’arts - « Aux Arts
j’ai acquis le goût de la matière, j’ai aimé la toucher, la modeler, la mouler,
lui résister. J’ai été poussé à chercher des solutions, à m’interroger sur la
« faisabilité » des projets… On m’y a enseigné qu’à tout problème, il
vaut mieux trouver une solution, que de le conserver comme sujet de conversation ».
En 1941, il débute aux
usines Renault. Envoyé en Allemagne en 1943, il y mène avec ses camarades
expatriés, des actions de sabotage industriel. Chez Renault, nationalisée à la
libération, il est chargé de la formation de la maîtrise. En 1947, il débute une
carrière syndicale (CFTC) et devient délégué des ingénieurs et cadres. En 1948,
il est appelé à rejoindre la Direction du personnel. Chef du service de
formation du personnel, il manifeste son gout de l’innovation avec de nouvelles
pratiques de "perfectionnement pratique du personnel" (PPP) et
introduit le "Training Within Industry" (formation sur le tas) au
sein des usines. Ayant participe en 1951 à une mission de productivité aux
Etats-Unis, il crée au retour un "service d'étude des problèmes de
personnel. Dans ce cadre, Raymond Vatier formulera les cinq propositions
novatrices intégrées dans l’accord RENAULT de 1955 :
*
mensualisation des salaires ouvriers
*
institution d’une troisième semaine de congés payés
*
création d’un régime de retraite complémentaire (la CRI)
*
ouverture d'une fonction d’analyse ergonomique des postes de travail.
* jury de promotion du
personnel d'encadrement
L’approche
collaborative : création
de l’AEDP et d’Entreprise et Personnel
Au moment où se prépare
le lancement d'une communauté européenne,
Raymond Vatier s’interroge sur ses
conséquences pour les entreprises et leur gestion des personnels. Avec ses
collègues de l’ANDCP dont il est membre actif, il décide d'entreprendre une
série de voyages d'exploration en Allemagne, Italie, Grande-Bretagne et Suède.
Ces échanges permettent la création de l'Association Européenne des Directeurs
de Personnel (AEDP) dont Raymond Vatier est élu président en 1965. Il organise
également des visites d'information et de comparaison en Union Soviétique et
aux Etats Unis.
Convaincu de l’intérêt
d’une approche collaborative entre entreprises, Raymond VATIER crée avec Robert
Bosquet en 1968, "l'Institut
Entreprise et Personnel", avec l’appui de l’ANDCP, de l’UIMM, du CNPF, de
la CGT-FO, de la CFDT, du commissariat au Plan et du Ministère du Travail.
« Entreprise et Personnel » qui fête ses années ses cinquante ans a
accompagné la transformation et la professionnalisation de la fonction RH.
La
formation permanente : de la création du CESI à l’Education Nationale
Avec ses collègues de
l'ANDCP, Raymond VATIER ouvre en 1958, avec les moyens de la Régie Renault, un
service commun avec la mission d'apporter une formation de "cadres
techniques" à des techniciens ou agents de maitrise, membres de leur
personnel. Ce service devient en 1966 le Centre d'Etudes Supérieures Industriel
(CESI), avec une gestion tripartite. Puissant moyen d’une politique active de
gestion des RH, avec une "formation alternée" qui se déroule sur deux
années, avec des stages d'un mois dans une entreprise autre que la sienne, la
possibilité de devenir ingénieur autrement que par la formation initiale. Le
CESI connaît un large succès et en 1978, le CESI est habilité à attribuer à ses
stagiaires, la qualité d'ingénieur et devient un « Saint-Maixent de
l’industrie » concrétisant la possibilité de devenir ingénieur autrement
que par la formation initiale, selon les vœux de Raymond Vatier.
En
1970, le ministre de l’éducation nationale, Olivier Guichard, lui
propose de venir au ministère prendre en charge le projet d'accueil des adultes
pour leur offrir une formation continu. Raymond Vatier quitte RENAULT après 29 années et devient "Directeur de
l'Orientation et de la formation continue". Il œuvrera durant 5 années
dans l'Education nationale pour faire coopérer le milieu éducatif avec celui
des entreprises et modifier une ignorance teinté de méfiance, pour lier la
formation des jeunes à celle des adultes dans la perspective d'éducation
permanente, pour lier formation et orientation en cours de vie de chacun.
Raymond Vatier se décrira
plus tard comme un « extra-terrestre à l’éducation nationale » mais
il y a créé des institutions qui durent encore : les CFC (Conseillers en
formation continue), les GRETA, l’OFRATEM, le délégué académique à la formation
continue relevant du recteur (le DAFCO), l’Office national d’information sur
les enseignements et les professions (ONISEP) et le Centre d’études et de
recherches sur les emplois et les qualifications (CEREQ)… Après deux
changements de ministres, Raymond Vatier finira par partir, fin 1974, pour
prendre un nouvel élan.
Le promoteur de l'Audit
social en France
En 1975, Raymond Vatier, devenu Président d'Entreprise et Personnel,
ressent le besoin d’une méthode d’analyse appropriée à la gestion des
ressources humaines. C'est l'audit social. En 1977, il crée le cabinet "
Expertise et Audit Social » pour mettre au point une méthode et des
procédures d'analyse des pratiques, de contrôle et des règles de certification.
Il développe une méthodologie d'audit social pour tout le champ de la gestion
des ressources humaines.
En décembre 1982, il
crée un institut international de l'audit social (IAS) avec la participation de
l'ANDCP, d'Entreprise et Personnel et d’universitaires dont il devient
président-fondateur. Une première Université d'été se tient en 1983 à
Aix-en-Provence rassemblant des auditeurs, des DRH, des enseignants chercheurs.
Depuis, l’IAS,
dans le cadre de sa mission d’échanges et de promotion de l’audit social a
organisé 56 universités de l’Audit social avec les 35 universités d’été qui se
sont déroulées à Aix en Provence, Paris, Toulouse, Bordeaux, Lille, Luxembourg
(Luxembourg), Marseille, Nice, Poitiers, Saint Étienne, Pau, Montpellier,
Dijon, Mons (Belgique), Montréal (Québec) et Paris, les 20 universités de
printemps organisées à Hammamet (Tunisie), Marrakech (Maroc), Alger (Algérie),
Beyrouth (Liban), Corte (France), Moscou (Russie), Dakar (Sénégal), Tanger
(Maroc), Zeralda (Algérie), Tunis (Tunisie), Kaslik (Liban), Agadir (Maroc),
Oran (Algérie), Zadar (Croatie), Pékin (Chine), Tours (France), Sofia
(Bulgarie), Pointe à Pitre (Guadeloupe) et les deux Universités d’automne à
Kinshasa (République démocratique du Congo) et Pointe Noire (Congo). Près de 2
300 communications ont été présentées et publiées. Près de 3 200 interventions
ont enrichi les débats qui ont réuni plus de 7 500 auditeurs dans 15 pays et 32
villes.
En hommage à son fondateur l’IAS a créé en 2010 un "Prix Raymond Vatier
de l’Audit Social" pour souligner et faire connaitre les meilleurs travaux
d’étudiants sur la pratique de l’audit social.
Un
engagement au service de la cité et de la communauté
L’extraordinaire richesse de la vie professionnelle de Raymond Vatier dont cet article n’évoque que quelques aspects ne doit pas occulter ses activités associatives et électives dont il a souvent souligné les effets réciproques, parfois fort significatifs, avec ses fonctions professionnelles. Il en a été ainsi tout au long de sa vie, y compris en temps de retraite, où ses engagements n’ont pas cessé. Comme il l’évoque dans l’ouvrage publié à 95 ans, Raymond Vatier nous donne l’exemple d’une vie de mouvement et d'innovations continues au service de valeurs profondément humanistes. Nous tenons à lui exprimer toute notre reconnaissance.
Par Jean
Marie Peretti, Professeur, ESSEC
Business School