Article issu de notre magazine (numéro 612 juil-août 2021)
Claude Monnier : L’impact du numérique et de la dématérialisation dans l’industrie musicale a eu un double effet : une crise profonde accompagnée de destruction d’emplois, suivie ensuite par une croissance et l’émergence de nouveaux métiers. La dématérialisation porte cette croissance, apporte une possibilité de nomadisme pour les consommateurs et est une opportunité pour les artistes.
« Si vous ne réagissez pas très vite en tant que RH, face à ces évolutions, vous devenez illégitimes face aux opérationnels. »
Nous avons vécu trois phases : le téléchargement illégal, le streaming illégal et aujourd’hui une ère de streaming mieux encadrée. Les deux premières phases ont provoqué des dégâts économiques importants (-70% en 15 ans), avec des réductions des effectifs car l’un des premiers leviers identifiés à l’époque était la masse salariale. Tout ceci s’est passé très vite et le développement de l’employabilité n’a pas toujours été au rendez-vous. Certains métiers, essentiels lorsque le secteur reposait sur des produits physiques, ont disparu, les produits ont évolués… Il a fallu une sacrée capacité d’adaptation pour que notre secteur puisse s’en relever ! Le développement des abonnements de streaming et le retour en force du vinyle, ont ensuite porté une croissance à deux chiffres et une création d’emploi et de nouveaux métiers, qu’il est passionnant de faire vivre en tant que DRH.
CM : J’ai rejoint Sony Music France en 2012, après avoir auparavant travaillé chez Monster, site d’emploi en ligne, pure player américain. Cette connaissance de l’univers digital m’a grandement aidé à cerner les nouveaux enjeux qui se posaient alors à l’industrie musicale : accélération du temps, dématérialisation de l’organisation du travail, courses perpétuelles aux talents, transformations régulières de l’organisation avec l’évolution rapide des nouvelles technologies…
Cela a été un atout de l’avoir vécu déjà une fois chez Monster, et m’a permis de ne pas prendre trop de retard. Nous avons ainsi lancé un pôle centré sur le traitement des données, nous avons cerné très tôt les compétences émergentes tels que la capacité à analyser le traitement algorithmique des playlists, et les formations pertinentes pour que nos collaborateurs aient les bonnes compétences au bon moment… Certains métiers se développent d’ailleurs sans formation continue dédiée, et il faut donc être créatifs et innovants. Ces évolutions technologiques de notre secteur poussent mes équipes RH à être en mode « R&D » constamment ! Et c’est une nécessité : si vous ne réagissez pas très vite en tant que RH, face à ces évolutions, vous devenez illégitimes face aux opérationnels.
« Il faut être capable soi-même en tant que RH de mener des expérimentations, de prendre des risques et d’innover. »
CM : La fonction RH doit à mon sens être en échange permanent avec les opérationnels et les experts pour anticiper les évolutions technologiques et leurs impacts RH (compétences, métiers, organisation du travail, rythme…). L’enjeu, c’est aussi de pouvoir faire ensuite bénéficier à l’ensemble du corps social des informations disponibles sur les avancées technologiques, pour que chacun puisse prendre le train en marche.
Ces nouveaux états d’esprit et modes opératoires doivent ruisseler, même auprès des collaborateurs ayant conservé des postes peu concernés par les nouvelles technologies. Enfin, une posture R&D en RH est un facteur clé de succès, nécessaire mais pas suffisant. Il faut être capable soi-même en tant que RH de mener des expérimentations, de prendre des risques et d’innover. Nous l’avons par exemple fait chez Sony avec la Sony Talent Factory en repensant totalement le recrutement sur un poste pour lequel il n’existe aucun diplôme : Directrice/Directeur Artistique.
CM : Les nouvelles technologies accélèrent le business, la communication, la prise de décision, les échanges… Dans la fonction RH, on a parfois une posture asynchrone, avec un temps de réponse relativement long, en décalage avec le rythme du business, beaucoup plus court. Bien sûr, cela dépend des effectifs et des moyens alloués aux équipes RH…. Cependant, un des facteurs clé de succès pour la fonction RH, pour être crédible, légitime et efficace, c’est d’être dans une réponse synchrone. Pour mes RH, cela signifie :
Cependant, je ne suis pas dans le « tout digital ». Je refuse de mettre en place des outils RH à tous les niveaux et sur toutes les tâches car je crois qu’ils mettent beaucoup de distance dans une organisation. De même, je suis aujourd’hui très sceptique sur l’utilisation de l’intelligence artificielle en RH car c’est un outil qui se fonde sur des données passées, pour prédire l’avenir… A mon sens, la digitalisation des RH et l’accélération du rythme de notre activité doit s’accompagner d’un surinvestissement des relations humaines et de l’attention aux collaborateurs.
« Les outils digitaux facilitent et font gagner du temps, mais la prise de décision doit rester humaine. »
CM : La fonction RH s’est hybridée : elle peut travailler de manière synchrone, numérique, à distance certes, mais elle doit savoir redonner une forme d’éthique et de sens à ces évolutions.
Notre rôle est aussi de travailler le « pourquoi », le sens de l’activité et de garder de l’humain dans les domaines clés : l’éthique, la santé/sécurité, les valeurs, mais également le lien avec les candidats et candidates et les collaborateurs et collaboratrices. Les outils digitaux facilitent et font gagner du temps, certes, mais la prise de décision doit rester humaine. A titre personnel, je suis par exemple contre le tri des CV par les algorithmes, ou les feedbacks dématérialisés envoyés aux collaborateurs…
CM : Il faut avoir cette volonté de redonner du temps aux équipes RH, sur les domaines qui touchent à l’humain. Chez Sony Music France, dès qu’on touche au facteur humain et au savoir-être (carrières, recrutement, communication interne….), ça se matérialise par du temps/femme.homme pour incarner la fonction RH. On peut digitaliser certains domaines mais laissons à l’humain la méthode et la décision.