Satya Goetz Lancel : C’est une situation délicate car elle ne relève pas de la responsabilité de l’entreprise mais uniquement d’un devoir citoyen. La question est : « Est-ce que je prends le risque d’attendre que la personne vienne en parler ? », ou : « Est-ce que de façon informelle, j’engage une conversation avec cette personne, sans attendre, pour lui demander comment elle va ? » La plupart du temps, la personne se livre et explique ce qui lui arrive. Et là, on bascule dans une configuration où la personne demande de l’aide et où le RH sait comment agir.
S. G. L. : Si les RH sont au courant, et que cela se confirme par des traces de coups ou des bleus visibles ou par la présence de l’agresseur sur le parking de l’entreprise à maintes reprises par exemple, alors la police préconise un signalement et vous aiguillera dans la marche à suivre. Avant toutes actions, il est très important d’en parler préalablement à la personne concernée et d’obtenir son consentement. D’un point de vue juridique, et à ma connaissance, la « non-assistance à personne en danger » n’a jamais été imputée à l’entreprise.
Cependant, si un(e) collaborateur (trice) décède des suites de violences conjugales, les collègues, les managers, les RH et la direction seront convoqués dans le cadre d’une enquête. La vraie problématique aujourd’hui est que l’on attend des victimes qu’elles fassent elles-mêmes leurs démarches : porter plainte, trouver un avocat, trouver un hébergement… Mais il faut changer nos process et mettre en place le « aller vers… ». Les RH doivent « aller vers » leurs salariés en difficulté. Et, au pire des cas, la personne vous répondra que cela ne vous regarde pas. Mais, de ma propre expérience, ce n’est jamais arrivé.
"Créer un climat de confiance et en insistant sur la notion de confidentialité"
S. G. L. : Le motif et les échanges restent à 100 % confidentiels pour le RH en charge. S’il y a besoin d’ouvrir des droits exceptionnels comme la mobilité géographique d’urgence, il faudra dans ce cas en avertir la DRH pour validation.
S. G. L. : En premier lieu, écouter la personne en organisant un échange informel, directement après avoir eu l’information, en créant un climat de confiance et en insistant sur la notion de confidentialité. Très souvent, les personnes se livrent mais indiquent qu’elles ne sont pas prêtes à partir ou à porter plainte. Dans ce cas, ne projetez pas ce que vous, vous pensez qu’il faut faire. Il faut simplement lui demander de quoi elle a besoin. Ensuite, il faut aussi savoir rassurer. Lui communiquer les solutions : location de voiture, garde d’enfants, conseil juridique, assistance psychologique, hébergement d’urgence… la palette est très large. Quoi qu’elle demande, les RH doivent pouvoir l’orienter vers des solutions.
Si elle ne demande rien, il est important de respecter son choix. Solliciter de l’aide peut prendre du temps et une graine aura déjà été semée grâce à la discussion. Cette personne saura qu’elle peut revenir vous voir quand elle sera prête. Et l’entreprise doit être capable d’agir dans un mois, six mois, un an…
"Toutes ces solutions sont des actions de bon sens, qui permettent de la souplesse pour que la personne concernée puisse obtenir l’aide dont elle a besoin."
S. G. L. : La loi qui cadre les obligations en matière de sécurité et de santé de la part de l’employeur ne mentionne pas ce qu’il se passe dans la sphère personnelle. Concernant des situations de violences conjugales, il est possible de mettre en place des process, des outils accessibles et faciles et surtout d’ouvrir des droits exceptionnels. Les RH sont en effet les seuls à pouvoir ouvrir des droits exceptionnels, à faire un aménagement d’horaire, à mettre en place de la mobilité géographique professionnelle d’urgence ou à proposer du télétravail quand le poste le permet ou au contraire d’arrêter le télétravail si la situation est trop compliquée à la maison.
Toutes ces solutions sont des actions de bon sens, qui permettent de la souplesse pour que la personne concernée puisse obtenir l’aide dont elle a besoin.
S. G. L. : Oui, tout à fait. Les RH ont ce devoir d’orientation fiable et de facilitateurs. Pour exemple, nos interlocuteurs privilégiés sont pour l’hébergement d’urgence :: Action logement et pour l’accompagnement juridique et psychologique : France Victimes. Aussi, une pratique simple est d’appeler la gendarmerie pour prévenir qu’un(e) de nos salarié(e)s va venir porter plainte. Notre retour d’expérience nous a appris que la victime était beaucoup mieux accueillie. Il est important de rappeler qu’il est nécessaire que les RH se forment à avoir la capacité d’écouter, de rassurer et de garantir l’orientation des salariés victimes de violences conjugales qui demanderaient assistance.
Cela s’apprend et tout le monde peut le faire ! De nombreuses entreprises ont déjà pris le pas sur cette initiative, comme les magasins U, au sein desquels nous avons testé ce modèle dans 1 750 magasins et 5 établissements, sur une population de 75 000 salariés. Depuis 2024, le dispositif est en cours de déploiement auprès des enseignes adhérentes à la Fédération du Commerce et de la distribution (FCD). Nous avons d’ailleurs été mis en valeur lors du Grand Prix de l’ANDRH à ce sujet.
S. G. L. : Nous allons éditer, avec l’ANDRH, une deuxième version de notre guide à destination des RH concernant cette thématique des violences conjugales où seront évoqués tous les outils à mettre en place, avec les aspects juridiques, administratifs, médico-psychologiques… Ce sera un guide de bonnes pratiques, très simple, à paraître d’ici la fin 2024.