Article issu de notre magazine (numéro 608 janv-fév 2021)
Eric Goata : Il s’agit d’un phénomène de dépendance qui n’est pas toujours pathologique. Nous avons besoin de nourriture, d’oxygène, de lien social et affectif, du travail pour exister sur un plan physiologique et psychologique.
En revanche, la dérive et l’excès des comportements qui proviennent de ces besoins peuvent devenir problématiques lorsqu’ils deviennent une contrainte non maîtrisée et que l’individu est envahi par une pulsion irrépressible de répéter cette conduite au détriment de son équilibre physiologique et psychologique. Il s’agit en fait d’une incapacité à dire « non » au besoin au-delà d’un « point de satiété ». L’objet de l’addiction tend à se transformer en unique source de plaisir et de bien être psychique aboutissant à créer la peur de manquer.
« La dépendance vis-à-vis des écrans est liée, dans un contexte professionnel, à l’impression d’une performance plus accrue. »
EG : De la même manière que personne ne réagit de la même manière face à une crise ou une situation potentiellement traumatique, en situation de stress, chacun cherchera à sa manière une solution d’apaisement. Le contexte de confinement et de télétravail aurait fait émerger quatre addictions particulièrement en vogue : l’hyper-connexion aux écrans à titre professionnel ou personnel, le tabac, l’alcool et le cannabis.
La dépendance vis-à-vis des écrans est liée dans un contexte professionnel à l’impression d’une performance plus accrue. Le télétravail a notamment induit une notion de disponibilité et d’hyperréactivité comme étant la démonstration de l’assiduité au poste de travail. Il en a résulté un phénomène de focalisation sur les notifications et un réflexe de réponse instantanée prenant dans les formes les plus critiques une forme de trouble obsessionnel compulsif.
Des études anglaises ont expliqué cette addiction sous la forme d’un syndrome psychologique « Fear Of Missing Out » lié à la peur de manquer une information permettant d’interagir socialement. Cette dépendance aux écrans induit une seconde dépendance à des substances de dopage capables de maintenir la capacité de réactivité sur la durée.
« L’important est de rythmer sa journée avec des jalons obligatoires et de prévenir les risques d’addiction par une observation bienveillante de ses comportements. »
La question à se poser est celle du mode de consommation et de la place du produit ou du comportement dans la vie quotidienne. Les indices suivants peuvent être les signes d’un comportement addictif :
Il est possible de se préserver de l’effet délétère du confinement qui abolit les points de repère normatifs ponctuant une journée normale de travail. Il convient de s’autodiscipliner et de continuer à s’inscrire dans la régularité de rites journaliers :
« L’entreprise peut jouer également un rôle de prévention si les managers et les membres de la fonction RH apprennent à identifier les signaux faibles des comportements addictifs à distance. »
L’important est de rythmer sa journée avec des jalons obligatoires et de prévenir les risques d’addiction par une observation bienveillante de ses comportements. La répétition inhabituelle et compulsive de satisfaire un besoin doit vous alerter rapidement et vous permettre de revenir au cadre que vous vous êtes fixés. Il est possible également d’engrammer le souvenir lié à la satisfaction d’un besoin et lorsque le besoin compulsif surgit de visualiser quelques minutes les sensations de plaisir liées à la conduite addictive.
Contre le risque addictif, il est possible également de demander de l’aide et un soutien psychologique qui vont notamment se traduire par une démarche de « sevrage » permettant de réduire le risque de dépendance.
L’entreprise peut jouer également un rôle de prévention si les managers et les membres de la fonction RH apprennent à identifier les signaux faibles des comportements addictifs à distance : surperformance, hyper-connexion professionnelle, absences, irritabilité et manque de participation.
« La généralisation du télétravail doit inciter à considérer que la problématique est susceptible de prendre de l’ampleur. »
Ces signaux sont autant d’indicateurs comportementaux qui peuvent indiquer une fragilisation inhabituelle d’un collaborateur. Des formations de prévention permettant d’apprendre à gérer le stress, l’angoisse ou l’incertitude peuvent également être des canaux de prévention par la sensibilisation des collaborateurs aux risques des comportements addictifs. Il existe également des sites ressource sur internet, qui permettent de trouver des tests d’autodiagnostic ou de bénéficier d’une aide gratuite.
Enfin la médecine du travail ainsi que le médecin traitant peuvent aussi être des interlocuteurs de confiance qui sauront garder l’anonymat et permettront de se tourner vers un spécialiste de l’addiction.
La généralisation du télétravail doit inciter à considérer que la problématique est susceptible de prendre de l’ampleur. L’effet temps peut faire basculer des pratiques excessives en addictions et impacter des populations qui jusqu’ici pouvaient être considérés comme relativement protégés contre ces pratiques. Il est donc nécessaire d’intégrer cette nouvelle catégorie de risques dans le spectre des actions de prévention.