L’hôpital est un environnement complexe et singulier. Complexe car les lignes hiérarchiques se croisent et s’entremêlent, les cultures professionnelles s’y côtoient et s’enrichissent, les structures implicites d’organisation peuvent y avoir plus de poids que les organigrammes officiels. Singulier car c’est une industrie de main d’œuvre où le panel des qualifications commence à l’agent hospitalier jusqu’au professeur des Universités – praticien hospitalier.
"Le quotidien d’un DRH hospitalier est fait « d’exceptionnels » (grèves, plan blanc, danger grave). Quand ce quotidien passe en mode « guerre », à partir de mars 2020, la DRH passe en mode survie."
Il y a peu de secteurs d’activité qui cumulent autant de risques professionnels (des troubles musculo squelettiques, aux RPS en passant par les risques chimiques, biologiques, ionisant, électro-magnétique, etc.) et d’aussi fortes contraintes de continuité de service 24/24, 7/7, pour une mission aussi louable que la prise en charge de tous. Car ce qui se joue à l’hôpital a trait à la vie, à la mort, à la naissance, à la maladie, à la souffrance.
De là vient que l’hôpital ne peut pas être « tiède » et que tout y est plus acutisé, plus intense, plus explosif. Le quotidien d’un DRH hospitalier est fait « d’exceptionnels » (grèves, plan blanc, danger grave). Quand ce quotidien passe en mode « guerre », à partir de mars 2020, la DRH passe en mode survie.
Il n’en est pas moins vrai que l’ADN de l’hôpital public est celui d’une administration. Il est autonome, a la personnalité morale, certes, mais reste administré.
"La fiche de poste recto-verso, 11 rubriques, 10 sous-rubriques était encore jusqu’à récemment notre façon « d’attirer » des candidats."
Son organisation est autant l’héritage des couvents de bonnes sœurs (dont le dévouement réel ou supposé devrait aussi être l’apanage des professionnels hospitaliers) que de l’armée (les cadres des services étaient encore des surveillants, les directeurs des soins des infirmières générales jusque dans les années 90).
Il faut reconnaître qu’historiquement la DRH hospitalière a plus été tournée vers une finalité procédurale, de la gestion administrative, qu’un souci de service.
Nous ne connaissions ni nos candidats potentiels, ni leur vécu au moment de leur prise de poste, ni les raisons de leurs départs. En forçant un peu le trait, on peut dire que la fiche de poste recto-verso, 11 rubriques, 10 sous-rubriques était encore jusqu’à récemment notre façon « d’attirer » des candidats. Notre préoccupation était plus le pilotage des effectifs en fonction de cibles quantitatives et de plans d’efficience que de s’assurer d’un onboarding agréable et efficace.
Après avoir déferlée sur l’Italie, nous savions que la vague Covid toucherait l’Île-de-France après être passée par la région Alsace. Les informations étaient inquiétantes : « covidisation » des lits hospitaliers, arrêts simultanés de professionnels susceptibles de mettre à mal la continuité de service, déficits de compétences paramédicales en réanimation / soins intensifs.
"Avec plus de 400 renforts nous avons recruté en un mois autant de professionnels qu’en un an, le tout à effectifs DRH quasi constants."
La première vague de Covid et le premier confinement ont été une course contre la montre. D’un point de vue épidémiologique il fallait arrêter l’épidémie et bouleverser les organisations existantes pour faire face à l’afflux de patients ; d’un point de vue RH trouver de nouvelles recrues immédiatement opérationnelles.
Très concrètement le nombre de patients Covid+ en réanimation est passé d’une cinquantaine à la mi-mars à presque 320, vingt jours plus tard. Cela représente une augmentation d’environ 12 lits en moyenne par jour.
Quand on sait que les ratios sur 24h étaient d’un infirmier et un aide-soignant pour 4 lits, on peut se dire aujourd’hui que nous avions, en moyenne, une cible de recrutement de 12 équivalents temps plein (ETP) infirmier et 12 ETP aide-soignant supplémentaires et opérationnels chaque jour. Mais dans le feu de l’action nous n’avions pas cette visibilité.
Les 3 règles RH de la pandémie pour faire face ont été les suivantes :
Nous avons fait feu de tout bois : rappel des retraités, des personnels partis en disponibilité, pilotage par le siège de l’AP-HP de l’affectation de volontaires, pilotage par l’Agence Régionale de Santé de l’affectation de renforts venus de régions moins exposées. Le tout dans un contexte du « quoi qu’il en coûte ».
"Comme dans bien d’autres endroits, la mise en tension de nos organisations a permis de trouver des solutions nouvelles à des problèmes simples mais anciens."
A bien des égards, cela a été une réussite : les moyens affectés ont été en phase avec les volumes de prise en charge. Avec plus de 400 renforts nous avons recruté en un mois autant de professionnels qu’en un an, le tout à effectifs DRH quasi constants (même s’il est vrai que les moyens ont été largement augmenté par les volumes horaires réalisés quotidiennement et 7/7 – le mode survie).
Comme dans bien d’autres endroits, la mise en tension de nos organisations a permis de trouver des solutions nouvelles à des problèmes simples mais anciens. Par exemple, nous avons mis à disposition un identifiant et un mot de passe le premier jour de l’arrivée d’un renfort.
Il est patent aussi que les professionnels pouvaient ne pas être prêts à la prise en charge des patients Covid ou à ses conséquences pour leur environnement familial et personnel. Cela nous a ainsi amené à proposer des dispositifs d’accompagnement spécifiques, en lien avec les psychologues des services et les services de psychiatrie présents au sein de nos sites, avec un rappel systématique et un suivi de chaque renfort après quelques jours dans nos équipes.